Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

6.11.16

LES YEUX DE L'AUTRE



"We want a home
Not police
Not injustice
We want to live"

Que pouvons-nous entendre de ces mots, de leur justesse, de leur justice, de leur inquiétude ? Que voulons-nous entendre de ces mots, pris par notre ténébreuse et si peu naturelle insouciance, notre esquive des périls par tant de subterfuges ?

Mercredi 2 novembre, quartier Stalingrad - avenue de Flandres à Paris, manifestation de soutien aux réfugiés (nommés "migrants" par les politiques et leurs médias) installés dans un campement de fortune, faute d'accueil réel et humain. Un camarade se rassure : "Il y a un peu de monde quand même" puis ajoute plus bas : "on est tout de même loin des manifs de soutiens aux sans papiers des années 90". Le dispositif policier, lui, est fourni. Très fourni. Sur la place, des bénévoles donnent encore un cours de français collectif aux réfugiés. Volonté d'apprendre. Le goût de la vie, l'amour, motivations de tous ces bénévoles extraordinairement dédiés à ces gens qui ont fui l'impossibilité de vivre en un voyage infernal pour trouver avec nous un lieu de vie. Il importe (grandement) de soutenir les réfugiés afin qu'ils trouvent ce qui est juste pour eux et non des solutions politico-électorales spectaculaires sans avenir. Le minimum, c'est d'être là. On peut faire mieux. Un barde, habitué du mouvement social, chante avec les réfugiés, moments de joie. Il essaiera plus tard de faire reprendre "One love" de Bob Marley aux CRS sans le moindre succès. Aux alentours, des passants, écouteurs aux oreilles et téléphones déroulant des playlists anesthésiantes, râlent parfois à cause du dérangement, demandent leur chemin à la police, ou plus souvent conservent une parfaite indifférence, ne semblant ni remarquer la manifestation, ni les milliers de gens dans la misère de ce campement. Vivre sans comprendre, sans regarder ni entendre, sans partager ? Indifférence simulée ?

"We want a home
Not police
Not injustice
We want to live"

Vendredi 4 novembre, même endroit, avant l'aurore, démantèlement du campement Jaurès-Stalingrad. Le 30ème dit-on.  Démanteler, c'est au sens premier détruire des fortifications, littéralement "priver de manteau", puis ce devint synonyme de "abattre" ou "réduire en pièces". C'est le terme choisi par les politiciens et les médias pour définir les évacuations et expulsions de ces camps qui sont le résultat d'une chasse incessante, d'un mépris total de l'être. Camps soudainement, comme à Calais, "démantelés" à la va comme j'te pousse pour la fabrication d'une belle histoire humanitaire devant micros et caméras à six mois des élections après quatre années de dégueulasse indignité, d'ignorance de l'autre. Si les réfugiés n'ont pas trouvé l'adhésion massive d'une population incorrigible quant à ses réflexes de peurs entretenues, ses choix ignorants, ses écouteurs greffés, ses égoïsmes, ses haines aussi, ils ont rencontré des gens, nombreux, magnifiquement dédiés, généreux, habiles, inventifs, vaillants, accueillants. Des gens ce matin incessamment affairés, à donner des vivres, des vêtements, les faisant passer aux gilets jaunes de la Ville de Paris au travers des cordons de police. Pas de place, pas de temps pour les découragements qui tournent à vide. Pendant ce temps, devant micros et caméras, c'est la parade, ministres, élus, vedettes médiatiques (il parait même qu'Alain Minc est là ???) devant micros et caméras. La ministre réversible Emmanuelle Cosse blablate, prend des poses salvatrices et met en garde les désobéissants. De la suite, on ne sait ! On espère. Sortir du sale climat qui propulse des innocents au rang de boucs émissaires chaque jour.

Parenthèse dont on fera ce qu'on veut : le 17 octobre est la date qui a été choisie par les policiers mécontents (d'autres diraient factieux) pour leur manifestation de blocage interdite sur les Champs-Elysées. Le 17 octobre, choix délibéré, pervers ou ignorant de l'histoire ? Le 17 octobre 1961, la police noyait les étrangers dans la Seine. Qui se tait ? Qui adhère ? Qui n'en a cure ? Qui garde ses écouteurs ? Fin de la parenthèse.

Parenthèse deux : la veille, la télévision a présenté un débat (on se demande si la racine de ce débat-là n'est pas le deb de debilis, latin pour "incapable") pour les prétendants au trône, il parait que ça intéresse moins les gens, que l'écho ne porte plus. Ira-t-il jusqu'à discréditer totalement la supercherie électorale en cours. Fin de cette parenthèse.

Samedi 5 novembre, bassin de la Villette et alentours, les hommes en uniformes patrouillent au milieu des camionnettes stationnées afin d'empêcher tout retour de tentes. Tout le monde n'est pas parti. On se guette...

En 2016, l'étranger est loin d'être pour tous l'ami que l'on ne connait pas encore (selon le mot de Margaret Lee Runbeck), il est pourtant prioritairement urgent de démolir nos murs intérieurs pour voir enfin nos propres cieux, les yeux de l'autre.

"We gotta live together"


 Photo : B. Zon


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