Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

12.12.14

LE BLACK DOG A 15 ANS
SACRÉ CLÉBARD !

Illustrations de Stéphane Levallois extraites du livret de How the light gets in de Fantastic Merlins

On pourrait, en toute facilité, utiliser la formule du fameux "Je me souviens" de Georges Perec et faire une liste infinie, tant le Black Dog qui fête ses 15 ans, regorge de lumineux souvenirs. Ceux dessinés par Stéphane Levallois dans le livret de l'album How the light gets in du groupe Fantastic Merlins par exemple.

Le Black Dog est un café situé à St Paul près du Mississippi. Il doit son nom à un impératif nocturne d'un soir de décembre, une rapide histoire de chien, pas vraiment à Led Zeppelin, ni même, consciemment, au chef Black Dog, qui, coïncidence, avait son campement de l'autre côté du Mississippi. Situé à l'endroit du camp de Little Crow, figure essentielle de la guerre des Dakotas contre le pouvoir colonial en 1862, ce "chien noir" n'est pas un truc tendance, un salon "branché", seulement un lieu de vie où être ensemble n'est pas une excuse à la solitude, un endroit qui tourne modestement le dos à un monde d'anéantissement qui ne fait forcément que passer. Il sait où sont ses marques, celles de Little Crow ne sont peut-être pas anecdotiques, intuition et sens sont en bonne place. En plein Lowertown de la capitale du Minnesota, Le Black Dog est une île, habitée, cultivée, où l'on se rencontre sans crainte, sans pose, un endroit de printemps qui ne craint pas l'hiver. Si on y mange et y boit bien, si l'on y parle volontiers (tant de débats passionnants - dans l'après 11 septembre par exemple ou lors de la RNC en 2008 où le Black Dog fut un extraordinaire accueil pour toutes les forces de l'expression libre), si les murs exposent régulièrement les images de peintres, dessinateurs et photographes impressionnants (Jim Denomie, Jonathan Thunder, Carolyn Anderson, Neto, Andy Singer, Caroline Forbes, Guy Le Querrec, Cattaneo, Ken Avidor, Lara Hanson, Steve Robbins, Emel Sherzad, Anne Elias ou même Edward Sheriff Curtis - dont l'éditeur Cardozo habite à côté - et tant d'autres...), la musique y joue un grand rôle. Pas une position concertante, une petite esplanade musicale au geste naturellement collectif qui répond au petit besoin de chaleur, de vigueur, d'une intensité aérée. Le groupe de rap Junkyard Empire y avait établi une petite commune chaque mercredi, les Fantastic Merlins, un Community Pools le vendredi, et Dean Magraw et Davu Seru y joent en continu chaque premier mardi du mois, un espace où l'expression embrasse l'idée cardinale de la renaissance, des haltes d'utopie, de l'évidence du "Nous". Le Black Dog a d'autres constances, Donald Washington, Todd Harper, Pete Hennig et ses Bluegrass Bandits, Eric Gravatt, Steve Kenny, Nathan Hanson, Brian Roessler, Willie Murphy, Nikki and the Ruemates, Anthony Cox, George Cartwright, Merciless Ghost, Rahjta Ren, Atlantis Quartet, Zacc Harris, Brandon Wozniak, Chris Bates, Brad Bellows, d'autres visiteurs heureux, Desdamona, Carnage, Brother Ali, Jef Lee Johnson, Michael Bland, Yohannes Tona, Bryan Nichols, Toki Wright, Happy Apple, Fat Kid Wednesdays, Jeremy Yvilsker, El Guante, Tish Jones, Michelle Kinney, Chris Cunningham, Douglas Ewart, Alden Ikeda, The Pines, JT Bates, Boots Riley and the Coup, Gary Farmer, Hymn for Her, Milo Fine, Kid Dakota, Michael Rossetto, Marc Anderson, Pat O'Keefe, Los Nativos et les voyageurs d'outre-Atlantique : Michel Portal qui y dédia un titre "At the Black Dog", Emilie Lesbros, Denis Colin, Pablo Cueco, Mirtha Pozzi, François Corneloup, Dominique Pifarély, Jacky Molard, Hélène Labarrière, Janick Martin, Yannick Jory, Evan Parker, Benoît Delbecq, Raymond Boni, Miguel Linares, Gabriel Gonzalez, Imbert Imbert et les fervents aux nombreux séjours, Tony Hymas et Didier Petit qui y cuisina même un pot au feu. Le Black Dog prend à témoin les petites irruptions, les générosités fécondes et les bonnes fréquences. Sans ce lieu notre musique aurait manqué de bien des jouissances... fortement.  Un bon anniversaire et un sacré coup de chapeau au trio Sara, Andy et Stacy Remke et à leur sacrée bande de Black Doggers ! Wouf ! Wouf !

Sur notre Glob : une série d'articles sur le Black Dog







5.12.14

DESDAMONA CHEZ LES ENFANTS DE SUZANNE VALADON ET THÉRÈSE MENOT
LETTRES DE CHRONIQUES DE RÉSISTANCE

Suzanne Valadon, après avoir été acrobate, devint modèle pour les peintres Renoir, Degas ou Toulouse Lautrec. Forte de l'observation de ceux qui la dessinait, elle en acquit certaines qualités et, encouragée par Degas, changea de côté et devint peintre elle-même, une des figures majeures de cette époque. Elle fut la première femme "admise" à la Société nationale des beaux-arts. Erik Satie en était fou d'amour. Parmi ses amis, elle comptait quelques adeptes de la vie de bohème de la Butte Montmartre à Paris, le militant anarchiste Miguel Almeyreda (père de Jean Vigo), les peintres Pablo Picasso, André Derain et Georges Braque et bien sûr André Utter (son deuxième mari). Elle mis au monde un autre peintre de renom : Maurice Utrillo. Suzanne Valadon, native de Haute-Vienne, a donné son nom à un Lycée public de Limoges.

Thérèse Menot, jeune comptable, rejoignit la Résistance en 1943 à 20 ans au sein du réseau Combat (dont était membre son père cheminot) après avoir dès 1940 activement montré son opposition au régime de Vichy. Arrêtée en janvier 1944 par la Gestapo, suite à une dénonciation, elle fut déportée au camp de Ravensbrück puis dans celui d'Holleischen en Tchécoslovaquie et libérée le 5 mai 1945 par les résistants tchèques et polonais. Thérèse Menot, native de Corrèze, a donné son nom à une salle du Lycée Suzanne Valadon. 

C'est sous cette sorte de tutelle d'une splendide et féminine regimbance, que Desdamona entre dans la salle Thérèse Menot du Lycée Suzanne Valadon le 6 novembre à 10 heures du matin pour rencontrer deux classes d'anglais de terminale (L). La rappeuse minnesotanne, à Limoges pour le projet Chroniques de résistance de Tony Hymas, joué le lendemain à la Salle Jean Gagnant, interprète seule son "Siren Song", frappant sa poitrine pour cadence. Ce chant des sirènes a le côté tragique des véhicules hurleurs, saletés de boîtes de pandores. Elle entonne ensuite sa "Letter to the women" extraite des Chroniques de résistance, où, comme David Miller ou John Holloway dans le même album, elle s'adresse aux résistantes des années 40 à partir d'un point de vue actuel, une interrogation sur le sens du mot aujourd'hui. 

Après un petit échange où les timidités initiales se dissolvent cordialement, Desdamona propose de créer quatre groupes avec l'idée que chacun d'eux écrive (en anglais) une lettre dans l'esprit de celles de Chroniques de résistance. Elle inscrit les quelques questions qu'elle s'est posé en écrivant sa "Letter to the women" : "Vous sentez-vous reliés au passé ?", "Que serait la vie si d'autres n'avaient pas autant risqué la leur ?", "Qu'aimeriez-vous leur dire ?", "Vous sentez-vous une responsabilité pour votre communauté ?", "Iriez-vous jusqu'à risquer votre vie pour vos convictions ?". Les groupes se forment et les conversations vont bon train. Ce qui frappe de suite, c'est la sagacité des élèves, la profondeur de leur relation au monde, la finesse de leurs interrogations. Les préjugés sur une jeunesse absente, démobilisée se font remonter les bretelles in situ. Les jeunes gens présents témoignent de ces sauts difficiles entre destin et liberté, désarroi et exigence, en une conscience de l'absurde, un désir d'ailleurs, de vivre autrement et une inestimable sincérité face aux brutalités de l'époque. D'une lettre de Sophie Scholl à ses parents ("Even if my actions are not really big. I hope they will stay in mind for a longtime") à une déclaration à Jean Moulin ("Thanks for your secret"), d'une missive à Rosa Parks parce que le racisme reste une préoccupation majeure ("The struggle continues today") à une autre, avec rythme rappé sur les corps, directement adressée aux pouvoirs suffisants et imbéciles avec leurs bras armés ("Fuck the governement.") et dédiée aux indiens Guaranis, lorsqu'en fin de poème, la forêt change de continent, le sang aussi, et apparaît Rémi Fraisse ; histoires funestes de luttes pour les arbres contre les barrages, ("People are standing up in the street", "But you king of the world decided to kill them all", "Who is protecting us from the police ?"). Une mort que ces lycéens identifient cette semaine-là comme celle d'un très proche, la leur peut-être, une invitation aussi à se lever, à vivre entièrement. 

Alors que Desdamona estime avoir beaucoup appris ce jour, salle Thérèse Menot du Lycée Suzanne Valadon, c'est bien un îlot d'expression libre que les jeunes Limougeauds ont mis en jeu, leur propre vie qu'ils ont peintes plutôt que d'en être les modèles, l'indication de forces vives et résistantes.


Merci à Malachi, aux professeurs qui avaient préparé la rencontre, à l'accueil du Lycée, au Musée de la Résistance de Limoges et à Catherine Meyraud du centre Jean Gagnant.

Photos : B. Zon