Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

23.6.13

LES SUITES D'ALAIN GIBERT

Rencontres au Havre (1), ça sonne comme un titre d'un roman de Pierre Mac Orlan, un scénario de Jacques Prévert, chronique d'une ville moderne pleine de souvenirs condensés. Début mars 1984, une certaine effervescence du Collectif National des Associations de Jazz et de Musique Improvisée avait réuni au Havre, organisateurs, musiciens et autres acteurs des dites musiques. L'Arfi (2) de Lyon y était un modèle de collectif pour beaucoup depuis 1977, Association à la Recherche d'un Folklore Imaginaire (terme qui a tout de même beaucoup plus de gueule et de poésie que les indigestes sigles qui ont désormais pris tout l'espace). La poésie et le collectif étaient deux choses fort constitutives de l'univers d'un de ses membres fondateurs, Alain Gibert, qui lors de ces rencontres avait animé une sorte de débat où il avait dit, d'un beau sourire, qu'il n'était pas nécessaire de ne pas aimer France Gall pour être amateur de musique improvisée. L'air de rien, cette phrase avait alors grande importance. Au Havre où l'on avait aussi beaucoup rit, le tromboniste et compositeur avait créé une belle pièce intitulée "Suite, suite et fin" avec un orchestre formé de ses camarades de Lyon – Jean Bolcato, Christian Ville, Christian Rollet, Louis Sclavis, Maurice Merle et d'autres amis comme Jean Cohen, Jean-François Canape et Béñat Achiary. Suite animée de cette sève si particulière, proche de la façon populaire, manière de conte, inventivité généreuse de langues, raffinement naturel de racines puissantes, que l'on retrouve dans les pièces de Gibert pour le Marvelous Band, la Marmite Infernale, le trio Appollo, le Tour de France de Louis Sclavis, la compagnie L’Auvergne Imaginée, ses mélodies pour les chanteurs Steve Waring et André Ricros ou encore ses arrangements plein d'esprit de pièces d'Ellington pour Sclavis, transactions idéales d'univers musicaux d'apparences lointaines. Alain Gibert, marvelous conteur s'est éclipsé cette nuit à Clermont-Ferrand.

Illustrations : "Le petit instrumentaire d'Alain Gibert" pour la revue Jazz Ensuite n° 4 avril-mai 84 et n°5 été 84 (dessins Yolaf)

(1) Rencontres au Havre : double album collectif. Phonolite-Patch-PP. 0185. Enregistré à la Maison de la culture du Havre, rencontres du CNAJMI, du 1er au 4 mars 1984 
(2) Arfi

22.6.13

CODE X

Diego de Landa, évêque et moine franciscain dépêché au Mexique a un temps étudié la langue la religion, l'histoire et la culture des Mayas (riche d'écriture et de papier), mais a furieusement ordonné la destruction massive à Mani (Yucatan) de tous les manuscrits mayas en 1562 déclarant qu'ils « ne contenaient rien d'autre que les mensonges du Diable ». Quatre Codex furent sauvés des 70 tonnes brûlées...
pas assez pour comprendre l'essentiel. L'autodafé après l'inquisition avait de sales jours devant lui et pour longtemps (Allemagne Nazi, Espagne Franquiste...). Aujourd'hui les feux restent autrement allumés.

Image : extrait de la Fresque de Bonampak (reproduction exposition "Les Mayas" à St Paul Minnesota) B. Zon

18.6.13

AU CARREFOUR DU PROGRÈS


Au carrefour des avenues Minnehaha et Franklin à Minneapolis à deux pas de l'American Indian Center, il y a toujours un indien qui fait la manche. Une majorité de citoyens automobilistes semble ne pas le voir ou faire semblant de ne pas le voir...

Comment regarder celui à qui l'on a tout pris, à qui on a dénié l'humanité véritable, qui est encore là, témoin gênant, chancelant mais jamais tout à fait invisible. Il était là bien avant les rapines en masse, avant les annonces triomphantes d'une suprématie occidentale chamarrée au fil des ans de toutes sortes d'uniformes immondes ?

L'existence de l'Autre, lointain, se réduit à l'accessoire de nos accessoires, ces fabrications distantes sans lignes de mains. Que nous importent les récents 1200 morts de Dhaka pourvu qu'on soit parés en bonus de condescendance et compassion furtive ?

Il est plus simple de disserter sur la pauvreté que de la regarder en face (et ce billet n'y échappe pas). Elle est le miroir terrible de notre propre histoire, de nos aveuglements, de nos lâchetés, de nos sempiternelles justifications "esthétiques" et d'hygiène vaguement humaine.

Ce même dimanche, à la une du Star Tribune (quotidien de Minneapolis) : "La cas d'un Ex Officier SS est une course contre le temps". L'homme a 94 ans, criminel de guerre présumé, recherché par les autorités polonaises, soudain découvert vivant tranquillement dans le nord de la ville minnesotanne.  L'émoi est grand et ce qui domine dans l'article est cette idée insupportable qu'il ait pu trouver refuge aux Etats-Unis, mine de rien.

C'est arrivé souvent, très souvent. 3000 "cerveaux" du Reich ont été recrutés par les américains à partir de 1945, 5000 par les concurrents soviétiques et même un millier par les français. Quand aux officiers SS, on n'a - pour le moins - pas toujours fait beaucoup d'effort pour les retrouver si ce n'est pour quelques besoins de bonnes consciences temporaires et spectaculaires

Les exigences du progrès ne font pas cas. Exemple : le V2, ancêtre des missiles à tête nucléaire, voué à la destruction de l'Angleterre, fabriqué entre 1943 et 1945 par des milliers de déportés à Dora (camp dépendant de celui de Buchenwald) fut conçu et mis en oeuvre par le Sturmbannführer SS Wernher von Braun, chouchou de Himmler et futur père des programmes spatiaux de la Nasa, secrètement exfiltré aux USA le 18 septembre 1945 avec 118 membres de son équipe (opération Paperclip). Plus de 20 000 prisonniers de cette main d'oeuvre gratuite périrent dans les conditions monstrueuses du camp. Mais on a fini par marcher sur la lune, alors ...

Que nous révèlera le procès d'un vieillard nazi recyclé ? Au carrefour, l'indien continuera-t-il de mendier ?

16.6.13

LE GROS MOT


Recep Tayyip Erdogan pointe "les terroristes, les anarchistes, les pillards" comme responsables des émeutes turques, usant de l'usé et fumier agglomérat ; celui que l'on a connu aussi il y a peu dans la bouche des Guéant, Valls (inventeur le terme "anarcho-autonomiste" à propos de Notre-Dame-des-Landes - seul un ministre de l'intérieur peut être doté de ce type d'imagination (1)) et consort. La liste est longue. 

Nombre de politiques et de médias se gavent facilement tantôt du vocabulaire de la peur, des insensés amalgames assassins, tantôt de celui du dictionnaire de l'antifascisme benêt qui verse une larme une fois l'an. Ça donne des allures digestes à leurs manigances, ne mange pas de pain, et permet une pose démocrate pour la photo, et puis on passe vite à un sujet sérieux : la croissance par exemple.

Les qualificatifs précis, ceux de l'histoire, des souffrances, de l'espoir et du présent compliqué font facilement défaut aux boutiquiers du capitalisme bon teint. L'anarchiste pour besoins temporaires deviendra par le saint alambic au plus juste un militant d'extrême gauche ou plus sarcastiquement un militant de gauche (tels ceux qui dansent à la Bastille en écoutant Yannick Noah !). Il sera extradé des livres d'histoire, des cartes de l'Espagne, de l'Ukraine, des USA ou du Mexique, de ses participations à tant de mouvements de résistance...

Clément Méric, militant libertaire, a été tué par un fasciste.

Être vague, c'est être complice (2).

... Et l'on entend que les restes de l'anarchiste Louise Michel sont éligibles pour un transfert au Panthéon (3). Le mot serait-il alors prononcé ? On frémit. Les restes de celle pour qui «La révolution sera la floraison de l'humanité comme l'amour est la floraison du coeur»(4)  sont intransférables car ils occupent la part belle de nos aspirations, les marges véritables. Ils continueront de se dresser devant les compétitifs fabricants de culte limant l'histoire.

(1) Commentaire sur une déclaration de Manuel Valls, Ministre de la police à propos de Notre-Dame-Des-Landes 
(2) Antifascisme 
(3) Napoléon IV avait échoué dans sa tentative de transfert des restes d'Albert Camus après le refus sensé de son fils Jean Camus
(4)  Louise Michel, Mémoires 


Photo : Marche pour Clément Méric à Paris le 8 juin par Z. Ulma

12.6.13

BLUE GRASS BANDITS DE PETE HENNIG

Étonnant le décor que cette peinture de Stéphane Cattaneo offre aux musiciens de passage au Black Dog ce mois-ci, cette idée du monde, de ses éléments, de son beau désordre, de sa terre. Pete Hennig et ses Blue Grass Bandits semblent en être les enfants naturels. Le groupe n'était pas au complet ce lundi soir (1) et Kevin James (guitare, harmonica, chant) et Tony Comeau (violon), appelés à la rescousse, sont venus en renfort d'Hennig (banjo, batterie) et de Neil Powell (contrebasse). Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne déméritèrent pas de l'appellation de forbans d'herbe bleue. La pétulante version de "Foggy Mountain Breakdown" pour terminer le premier set (dans la mémoire populaire, titre associé - par la grâce d'Arthur Penn - au couple Bonnie Parker et Clyde Barrow ) nous rappelait l'hospitalité d'exception que St Paul offrit aux belles canailles durant de nombreuses années.

Pete Hennig et ses fripons inventifs jouent la douce insistance d'une lumière de toujours, d'une énergie infatigable de rire et de désir, un simple appel au passé sans blessure nostalgique. Une musique d'amitié qui s'agite bien dans l'aire naturellement propice à la fête. "Et si on danse ?" aimait à répéter Gaston Lagaffe, penseur essentiel de la seconde partie du XXème siècle. Répondre enfin "On danse" est nourrissant et stimule le chant. Alors Kevin James, dégaine de hobo, a chanté de sa voix de sublime innocence, de victoire inspirée de l'amour. Le temps de l'enfance dure des millénaires, celui de l'expérience quelques instants. Le gué qui les unit est le lieu véritable, espace féticheur à la surface de la mémoire. "Tombstone Blues" de Bob Dylan fut bouleversant, du grand œuvre de bandits éclairés. La nuit tombée, on se sentait un peu plus libre en sortant du Black Dog après cette providentielle aubade.

 (1) à propos des débuts du groupe : Le sourire de Pete Hennig : Banjo vit 


Photos : B. Zon, peinture Cattaneo  

10.6.13

NOTES DE PETIT MATIN AU GRAND SOIR

Nuit blanche à St Paul-Minnesota le 8 juin. 4 heures du matin au Black Dog, après un set-embardée de bardes-DJ et danseurs bardés, Todd Harper et Nathan Hanson cheminent tranquillement sur la scène... les coalisés de fin de nuit quittent l'espace pour laisser place aux confidents du petit matin. La transition est cauteleuse et contrastée et les rêves déménagent doucement, afflux intimes, sauvegarde de traces. La pluie douce recouvre le jour torride. Devant une peinture de Cattaneo (qui expose au Black Dog ce mois de juin), les titres sont parfois tirés aux dés : se lever tôt pour accroître le sommeil, disposer d'un peu de beauté de hasard qualifié. Petite discussion à propos de "A dance class for Jesse Helm's", composition d'Harper de la fin des années 80, inspirée par l'idée qu'une leçon de danse aurait pu commencer à changer le comportement raciste et homophobe du gouverneur de Caroline du Nord, réélu 8 fois, offensé par l'art de Mapplethorpe, soutien de l'apartheid sud-africain, tête de la campagne pour la suppression du "National Endowment for the Arts". Ils joueront " in case the world continues..."approprié ! Douglas Ewart, matinal, se réjouit dans la salle et le duo termine par "Witchi Tai To" de Jim Pepper. Ce n'est pas la première fois ! Une vibration, un réflexe, une volonté. Le Black Dog se trouve à l'endroit de l'ancien camp de Little Crow, près du Mississippi, près de l'inévitable révolte de 1862. La sinistre sentence du très républicain Abraham Lincoln qui signa la pendaison publique de 38 Dakotas ne permettra jamais aucun silence.


Photographie : B. Zon,
Peinture : Stéphane Cattaneo

7.6.13

À PROPOS DU RAPPORT LESCURE
PAR LES ALLUMÉS DU JAZZ


"Les Allumés du Jazz, attachés aux notions d'indépendance et d'artisanat en matière de production musicale sont conscients de la nécessité de trouver des financements en matière de rémunération des auteurs, artistes-interprètes et producteurs, autres que ceux de la copie privée, par le biais de l’instauration d’une taxe sur les appareils connectés et saluent dans le rapport Lescure, les pistes évoquées en ce sens. 

Toutefois, dans l'état actuel des choses, les Allumés du Jazz sont opposés au fait de fusionner cette nouvelle taxe – dont le rendement est incertain – avec celle de la copie privée qui, même si elle s’essouffle, reste une base solide tant dans sa collecte que dans ses missions de redistribution vers la création, la diffusion et la formation. 

Les Allumés du Jazz sont étonnés du manque de confiance accordé aux sociétés de gestion collective – les Sociétés Civiles – qui sont les mieux à même de résoudre et négocier les nouveaux enjeux de la mise en ligne des œuvres, à condition qu'elles continuent à tenir compte des spécificités de nos pratiques, plus artisanales qu'industrielles.

Mais ce qui frappe le plus les esprits, c’est le projet de basculement de l’affectation de 25% de la copie privée (proposition 41) – jusqu’ici dédiés à l’action culturelle et artistique – vers le financement de plateformes numériques. Amputer des moyens déjà érodés par la baisse globale des recettes de la copie privée, à l'heure d'une fragilisation du spectacle vivant et de la création, risque de porter gravement atteinte à ce secteur pourtant essentiel. 

Il est à noter en outre que les ventes sur ces plateformes (et sur Internet en général) sont à l'heure actuelles tout à fait insignifiantes en matière de jazz et musiques improvisées et autres, les concerts et les points de vente physiques restant à ce jour les meilleurs vecteurs.

Les Allumés du Jazz s'interrogent sur la fonction réelle de ces nouvelles plateformes numériques dont la position serait rendue dominante, à savoir qui en sont les propriétaires et les réels bénéficiaires qui ainsi se verraient octroyer une partie des 25% de la copie privée : à la lecture de ce rapport, certainement pas les maisons de production de musique indépendantes que nous représentons".
   
Les Allumés du Jazz - 7 juin 2013
Dessin Johan de Moor in Journal des Allumés du Jazz

6.6.13

ANTIFASCISME

Honte à ceux qui récupèrent, pour leurs petites manigances politiciennes, le drame de Clément Méric, assassiné par de réels fascistes. Honte à ceux qui se targuent d'antifascisme alors qu'aucun de leurs actes n'envisage d'endiguer sérieusement cette abjection. Honte aux partis de pouvoir PS, RPR, UMP qui depuis 30 ans favorisent l'extrême droite. Honte à ceux qui nous répètent à longueur de journée que "les extrêmes se valent". Honte à ceux qui justifient les violences policières. Le fascisme est l'horrible malus d'une politique capitaliste sans cœur, une réalité terrible à combattre ainsi que toutes ses complicités.

1.6.13

PLACE TAKSIM À ISTANBUL

Air de déjà vu ? Vendredi 31 mai, Istanbul à l'aube,  la police est intervenue violemment pour déloger des militants occupant le parc Gezi sur la place Taksim afin d'empêcher le déracinement de 600 arbres dans le cadre d'un projet d'aménagement urbain unissant la sainte dualité centre commercial et caserne modernisée. Les renforts de nombreux militants n'ont pas tardé générant un mouvement populaire contre le gouvernement autoritaire qui se poursuit aujourd'hui malgré une répression brutale.

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