Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

12.4.13

10 ANS D'URSUS MINOR,
LA CAVE DIMIÈRE, ARGENTEUIL. 6/4/2013
PAR OLIVIER GASNIER


Ursus Minor, la cave Dimière, Argenteuil. 6/4/2013
 par Olivier Gasnier

Ada Dyer : chant, Desdamona : rap, Tony Hymas : claviers, chant, Grego Simmons : guitare, 
François Corneloup : saxophone baryton, Stokley Williams : batterie, chant

 Dix années d’existence pour un projet musical relève déjà de l’exploit par les temps qui courent. Que dire alors d’Ursus Minor – groupe internationaliste de naissance, tant par ses origines géographiques (Angleterre / France / Etats-Unis…) que par ses sources musicales multiples (jazz, soul, rock, rap, vocale, instrumentale). Les croyants – il en reste, et de toutes sortes - invoqueront un miracle. Plus sûrement, voilà la preuve qu’un acte politique, reposant sur une détermination farouche, sans doute entretenue par la qualité et la force intrinsèque du projet, peut exister en dépit et face aux circonstances.

N’en déplaise à la modestie de François Corneloup, évoquant le  « quart d’heure politique du concert » à l’occasion de la présentation du titre « Notre Dame des Oiseaux de Fer », Ursus Minor remet en permanence la politique au centre de l’action, aussi musicale fut-elle en l’occurrence. Politique entendue comme vie de la cité, et son organisation, à discuter et envisager.
Ainsi du programme de cette ultime date de tournée où la couleur est clairement annoncée ; la vie dans ses différentes dimensions est là :
Suggestions diaboliques (Prokoviev), Punk prayer (Pussy Riot), Petite Fleur (S.Bechet)/ Superstition (S.Wonder), Zad Song, Drivin Man (Max Roach - Oscar Brown), Notre-Dame des oiseaux de fer (Hamon Martin quintet - Sylvain Girault), The way back home, The words of Lucy Parsons, Miss America, We shall not be moved, Strange fruit, I don’t live today (Hendrix).

Et il y eu « Move » aussi, élégamment présenté par François Corneloup au nom du groupe. L’émotion se cristallise, les yeux se noient quelque peu dans l’appréhension d’une absence désormais définitive, et face à une interprétation de ce morceau d’anthologie qui ne se jouera plus avec son compositeur, ce qui semblait inimaginable tant Jef Lee Johnson habite ce thème. Et pourtant, quel magnifique témoignage d’amour et d’amitié fut cette version, qui accrochera à jamais JLJ dans les cœurs, si ce n’était déjà le cas, mais avec davantage de netteté dans les contours d’un talent fait d’une mélancolie dont la profondeur touchait à l’universel et qui, matinée d’une pointe rageuse  et de clins d’œil malicieux, se transcendait et transmettait une force vitale. Point de confort dans ces voyages mais la régénération salvatrice d’une approche au plus prés de soi-même. Là où Terry Bozzio « tuait la bête » au sein des Lonely Bears, peut-être son meilleur terrain d’expression, JLJ nous débarrassait de nos oripeaux. Et Grego Simmons, guitariste nouveau venu dans la sphère Ursus Minor, se situa dans une parfaite filiation.

Cependant avec Ursus Minor version Stokley Williams, version plus vocale que chantée, le chant étant présent chez chacun des musiciens et bien sûr des chanteuses Ada Dyer et Desdamona, il s’agit dorénavant de l’invitation à la transe-danse permanente, évolutive, portée par le duo fondateur Hymas/Corneloup.
Incroyable compositeur/musicien d’un côté, et de l’autre, sensible mélodiste à l’énergie charpentée d’un coureur de fond capable d’accélérations aussi décisives qu’inattendues. Qualités habituellement antagonistes dont la maîtrise contribue à la singularité du saxophoniste et à son rayonnement sur le groupe mettant dans les meilleures conditions Stokley Williams rythmicien vif et félin et interprète à l’âme ancestrale.
  
Ursus Minor c’est donc la remise permanente de la politique au centre du débat (« l’art est public », politique donc). C’est aussi le tour de force de son co-instigateur et metteur en sons, Jean Rochard. La démarche de ce dernier a certes toujours été celle-là, comme le montre la discographie du label nato, mais avec ce groupe, par sa longévité et son essence même, on touche ici à un aboutissement nécessaire, et qui n’est pas une fin en soi, pour franchir une étape supplémentaire dans la construction d’une autre société possible.
Et, naturellement, le plan musical n’y est que gagnant : parfaite connaissance des musiciens et adhésion à la démarche validée par leur épanouissement artistique respectif, qui, de plus, et toujours par nature, évolue en permanence, se renouvelle, s’adapte ; histoire et actualité obligent.

Aller à la rencontre d’Ursus Minor, c’est retrouver la joie, « poser son fardeau et remettre la machine en route* ». Cela n’a pas de prix. Mais une valeur incommensurable.

* Titre de François Tusques in Intercommunal Free Dance Music Orchestra Vol.4 - Jo Maka

Photographie : Jean-Jacques Birgé 

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