Enfants d'Espagne

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21.2.12

« AMIBE ENTENDS-TU ? »
OU LES CHAUDES AVENTURES D’UN ECHOTIER AU CONCERT DE JAZZ

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« AMIBE ENTENDS-TU ? »
... OU LES CHAUDES AVENTURES D'UN ECHOTIER AU CONCERT DE JAZZ
(MAC-CRÉTEIL - samedi 18 février 2012)



Grosse affluence pour le dernier concert de l’édition 2012 du festival Sons d’hiver.  Comme à son habitude, l’affiche ne démérite pas qui présente en deux parties le duo de vétérans Archie Shepp – Joachim Kühn puis Joseph Bowie (ancien du Black Artists Group, du Human Arts Ensemble) dans une actualisation de son fameux  projet Defunkt.
 Événement donc puisque la revue de connaisseurs Jazz Magazine-Jazzman a dépêché l’un de ses plus illustres et fidèles journalistes en la personne de Thierry Quénum.
La lecture de sa chronique parue le lendemain à l’aube sur le blog de Jazz Magazine-Jazzman renseigne. Blog simplement nommé Jazz Magazine d’ailleurs (sans épithète Jazzman), en souvenir peut-être d’un autre Jazz Magazine, revue d’influence certaine au XXème siècle, sachant compter alors quelques unes des plus pertinentes plumes et des yeux les plus sensibles pour écrire et photographier le jazz, en saisir les urgences politiques, les contradictions et les interrogations.
Plutôt que de raconter le concert à notre tour lorsque tel expert est dans la place, contentons-nous d’interroger son poulet, écrit probablement en direct, comme en attesta la petite lumière numérique jaillissant de son siège comme l’étoile de la crèche.
 Le concert Shepp-Kühn, on le sent, fait partie de ses particularités. D’ailleurs il l’a déjà vu à Strasbourg nous dit-il. Il en parle donc en coutumier. Après que « Shepp fut dans l'ensemble égal à lui-même »  et que Kühn « par contre, sembla parfois en retrait, dans un rôle d'accompagnateur qui n'est pas usuel dans son cas »  pour finalement qu’« on retrouve le Joachim Kühn de toujours », la conclusion revient au fait que le concert fut « passionnant et profondément… musical ».
Voilà ! Les musiciens produisirent un concert « … musical ». Pour qui n’a pas l’habitude, on se dit « ben oui ! euh, c’est logique tout de même ! ». Lors du concert, Shepp prit le soin de présenter les morceaux dont la plupart avaient pour point commun d’être dédiées aux femmes, y compris sa grand-mère. Lorsque l’on sait certains engagements politiques de Shepp et l’influence de sa grand-mère qu’il a parfois décrite dans des interviews,  il y avait peut-être eu là quelque chose à creuser, à relever, quelque chose qui passait aussi dans ce concert, qui aurait fait que le récital ne fut pas que « … musical », que le but de la musique n’était pas seulement le« trois petits points »« musical ». Pour le savant, ce qui compte c’est de déceler l’objet bien à sa place.
Mais c’est surtout son analyse rapide (méthode Flunch) de la prestation de Joseph Bowie qui retient l’attention. Voici l’intégralité du texte : « Un peu difficile, après cela, de parler du Defunkt Millenium de Joseph Bowie, machine à funk d'une efficacité aussi redoutable que sa configuration rythmique, harmonique et mélodique est rudimentaire. Une amibe musicale, en quelque sorte, avec la puissance de feu d'une division blindée. Or il fait déjà une telle chaleur dans cette salle que la torpeur me gagne. Dehors, en revanche, l'air est si doux en cette fin d'hiver qu'il serait criminel de lui préférer ces sons binaires… ».
 Essayons de comprendre :
« Un peu difficile, après cela, de parler du Defunkt Millenium de Joseph Bowie » soit : après un concert qui fut, parce que les musiciens furent « égaux à eux-mêmes »,  « passionnant et profondément… musical », le chroniqueur rassuré se trouvant en terrain connu (il connaît bien les protagonistes, leur valeur est confirmée), exprima quelques difficultés à écouter ce qui est décrit comme une « amibe musicale ». Ce qui signifie sans doute (vu la petitesse d’une amibe) que le « … musical » n’est pas le fort de Joseph Bowie, même si toutefois le microbe est décrit ici comme « musical » (Bowie peut il prétendre à être sauvé ?). Mais cette amibe a « la puissance de feu d'une division blindée ». Le protozoaire vit dans l’eau, ce qui en principe n’est pas l’endroit le plus aisé pour « la puissance de feu ». L’allusion à cette division blindée ne se veut pas flatteuse, ce n’est pas très mélodieux une unité militaire. Indication légèrement… blindée (et hop trois petits points !) que cette musique de danse ne sied guère à notre scientifique. Comme il fait chaud dans la salle, révèle celui qui a souffert du froid la semaine précédente (« après le gymkhana bien en-dessous de zéro dans le Val-de-Marne quelques jours plus tôt »), la puissance de feu va faire décoller l’écrivain de son siège. Pas pour danser. Un jazz cool aurait sans doute mieux fait l’affaire (personnellement, en simple amateur, j’ai trouvé le duo Shepp-Kühn plutôt chaleureux). Etonnant tout de même d’être « gagné par la torpeur » face à « une division blindée d’une puissance de feu » ! L’histoire a des exemples contraires.
 Alors il choisit donc de quitter le théâtre pour goûter dehors « l’air si doux » car il aurait été « criminel de lui préférer ces sons binaires… ». Il est resté un bon paquet de criminels dans la salle qui n’ont pas eu, par ce beau temps, la présence d’esprit d’organiser un pique-nique sur la place Salvador Allende de Créteil à minuit plutôt que de subir cette « machine à funk ».  Et le mot satanique est prononcé : « binaire » ! Car le binaire, c’est l’ennemi du noble amateur de musique, le signe de reconnaissance de la canaille. Le binaire ce fut le choix d’Archie Shepp lorsqu’en quelques albums (Cry of my people, Attica Blues, Things have got to change), il voulait toucher « son peuple ».
Le binaire c’est la plèbe, le prolétaire, le vulgaire. Normal donc que Thierry Quénum, qui se présentait ainsi dans le même blog de Jazz Magazine le  30 avril dernier : « Vénérable ancêtre du journalisme européen, invité chaque année par le Centre des Congrès (CdC) de Brème et logé — en tant que VIP (Very Important Plumitif) — dans un hôtel de luxe dont il honore le jacuzzi, le sauna et le luxueux buffet du petit déj’ de son humble présence, votre serviteur déambule comme chez lui dans les allées du grand hall du CdC », s’en méfie.
 Le jazz reste donc porteur de lutte des classes et c’est une bonne nouvelle, merci Thierry Quénum. La température ambiante, il n’y a que ça de vrai !

Jean Rochard (nouvelles de Grèce)

Image : Honoré Daumier

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