Enfants d'Espagne

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6.8.09

L'HEURE DE DILLINGER




















L'histoire est-elle la traduction de la vérité continuelle ? La vérité se restitue-t-elle ? Se rend-elle ? Peut-elle se transmettre ? Et comment ? Le cinéma et l'industrie audio-visuelle ont pris en charge depuis plus d'un siècle une certaine transmission de l'histoire parfois en temps presque réel (le film suit souvent l'événement pour le redonner au public en version digérée, lui offrant un semblant de culture apaisante). Le cinéma s'est imposé principalement comme outil de propagande. Parfois, la foi de ses "entrepreneurs" est si forte qu'elle permet à ce drôle de média d'emporter le morceau ou plutôt de le déposer. Le cinéma est directeur, il autorise peu l'arrêt sur image (sauf lorsqu'il l'impose, lorsqu'il souligne lui-même ou lorsqu'il se rit de son endroit, ce qui change peu à l'affaire). Il joue parfaitement son rôle dans le monde moderne et pourtant il tourne avec, fascine (c'est sa qualité première) et à l'occasion ouvre la fameuse brèche et révèle. Là, il réussit la passe difficile. Un moment de vérité finit toujours par croiser le regard de la caméra (souvent à l'improviste). Le réalisateur et ses acolytes (le cinéma est affaire de ruche, très peu de solos) peuvent au moins s'en accommoder, au mieux le favoriser, et alors nous rejoindre.

Le film Public Enemies de Michael Mann n'est pas exactement consacré au "phénomène" des Public Enemies comme son titre pourrait le laisser croire, mais plus spécifiquement à l'une de ses célèbrités : John Dillinger. Les Public Enemies sont une invention de John Edgar Hoover, directeur du FBI de 1924 à 1972 (année de sa mort), monstrueux manipulateur redouté - ni Kennedy, ni Johnson, ni Nixon ne pourront s'en séparer. L'appellation (créée par un journaliste du Chicago Tribune en 1930 pour désigner les gangsters-vedettes de la Prohibition : Al Capone, Ralph Capone, Frank Nitti, Franklin Rio, Jack "Machine Gun" McGurn, Jake "Greasy Thumb" Guzik, George "Bugs" Moran, Joe Aiello, Edward "Spike" O'Donnell, "Polack" Joe Saltis, Myles O'Donnell) permettait de focaliser l'attention du public (jugée trop compréhensive) sur quelques cas issus d'une gigantesque vague de banditisme surgissant à l'occasion de la grande crise de 1929 en assurant le propre triomphe d'Hoover (et donc l'assise totale de son pouvoir). Les Public Enemies désignés du début des années 30 furent John Dillinger, Alvin Karpis, Baby Face Nelson, Charles "Pretty Boy" Floyd, Kate "Ma" Barker, John "Red" Hamilton, Homer Van Meter, "Machine Gun" Kelly, Bonnie Parker, Clyde Barrow. John Edgar Hoover a été un grand (et sinistre) metteur en scène.

Le film de Mann reste avec force conviction très concentré sur le personnage de Dillinger (interprété avec justice par Johnny Depp) et une intéressante puissance quotidienne, mais fait par trop l'impasse sur le contexte social et historique (pourtant maintes fois rappelé dans l'actualité récente comme pendant de notre "crise actuelle" - les commentateurs ont fait mine de se préoccuper des ressemblances et différences entre 1929 et 2009 pour mieux étouffer), la corruption de la police (une très courte scène l'indique), les situations géographico-politiques (l'importance de la ville de St Paul par exemple), les relations complexes entre Dillinger et Baby Face Nelson (personnage ici secondaire et schématisé). Il offre peu d'espace à Billie Fréchette, apât féminin cinématographiquement mal traité. Le film parle assez fort, mais il relie mal et s'il présente quelques rencontres fortes avec l'histoire, il s'arrange aussi dangereusement de la chronologie pour favoriser, par exemple, l'action du personnage de l'agent Melvin Purvis Jr et procéder à la réduction du face à face (conforme à une certaine vision hooverienne). Dans Public Enemies, Purvis apparaît au début du film tirant à mort sur Pretty Boy Floyd en fuite, ce qui lui permet d'être remarqué par Hoover qui en fait son champion pour atteindre Dillinger. Hors c'est le 22 octobre 1934 que Pretty Boy Floyd fut tué (Purvis participa, mais ne fut pas celui qui l'abattit) et John Dillinger mourut trois mois auparavant le 22 juillet. C'est en 1932 qu'Hoover nomma Purvis (en bon metteur en scène non partageur de succès, il le destituera ensuite).

La première partie de la scène finale (avant l'inutile postlude hollywoodien) restitue le fameux épisode où Dillinger au cinéma regarde Manhattan Melodrama de W. S. Van Dyke (en français : L'ennemi public numéro 1), film d'époque dans l'époque, juste avant de tomber dans le piège fatal de la police favorisée par les "nouveaux gangsters". Les chassés-croisés, voix et regards, de Dillinger/Depp et Clark Gable/Blackie offrent un moment où la brèche s'ouvre. Nous sommes à notre place au cinéma dans le cinéma pour le cinéma alors soudain généreux. Le film nous propose du champ. C'est lui qui nous parle, mais c'est à nous de comprendre. Ne restons jamais à la sortie du cinéma, mais rendons-nous à tous ses départs sans jamais déposer armes.

2 commentaires:

jjbirge a dit…

N'empêche que le film de Michael Mann est bien ennuyeux. Scénario paresseux se résumant à une incessante course-poursuite. Depp est sobre, mais monolythique. Encore un film pour adolescents mâles qui se goinfrent de Big Mac.

Hier soir j'ai vu un "vieux" film (2004) de Nicolas Boukhrief, "Le convoyeur". C'est étrange comme l'on parle peu de ce réalisateur qui a plusieurs polars formidables à son actif. L'étude sociale est passionnante, le suspense efficace, le regard original, le casting remarquable. Il a également réalisé "Va mourire", "Cortex"...

nato a dit…

Nicolas Boukhrief et ses films (dans lesquels on retrouve Cécile de France, André Dussollier, Albert Dupontel, Jean Dujardin, Mathieu Kassovitz, Vincent Cassel, Julie Gayet) ont connu une publicité non négligeable, à laquelle la catégorie sociologique bien pratique et nouvellement identifiée"les adolescents mâles qui se goinfrent de Big Mac" a du être sensible...