Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

24.8.09

LES HÊTRES VERS KIND OF BELOU



En venant de l'est (Auvergne) pour se rendre à Treignac (Corrèze), il est offert, un temps, d'emprunter la Route des Hêtres. Ce moment d'itinéraire profile une porte ouverte et secrète sur la profondeur, une façon intérieure de rejoindre le monde dont les arbres restent les meilleurs témoins (témoins qui n'ont aucun intérêt au mensonge). Sur la Route des Hêtres, le trajet vous dépasse pour que vous puissiez mieux vous reconnaître dans le temps sans arrêt. Alors que la route porte ce temps fidèle, une curieuse impression se dessine au gré des courbes qui allie une sorte de multiplicité intime et de restitution des voeux essentiels, trop souvent manqués par ailleurs.

Ce 24 août, le festival Kind of Belou de Treignac (qui n'a pas son pareil pour esquisser l'espoir léger) fêtait, pour la troisième journée consécutive, sa 10ème édition avec en concert final, Tony Hymas, Bruno Chevillon et Eric Echampard. Le trio s'incarna petit à petit, à force douce et parfois bleue, de reflets et d'ombres rapides et pénétrants, comme une suite de cette Route des Hêtres. Annonce ou titre d'une parcelle de concert : "En voiture pour Terra incognita". Nous y voilà en temps conjugué de passé qui avance et de présent qui observe. Un temps comme celui de la chanson de Léo Ferré qui vint en rappel, un temps où s'inscrit l'essor de la route des êtres.




Merci à la fort amicale équipe de Kind of Belou


Photo D.R.
Images qui bougent : B. Zon


13.8.09

LE CHANT EST VIF



"Alors qu'une cathédrale demeure enracinée dans son époque, et donne une expression permanente du passé au paysage qui, lui, change toujours, une chanson surgit tout à coup de ce passé jusqu'à notre présent, vivante et palpitante, comme une grenouille, et s'intègre dans le paysage, comme un jeune arbuste, apportant la lumière vive des heures anciennes, grâce au souffle de la mélodie."

Federico Garcia Lorca, conférence donnée en 1928 et retranscrite dans Les berceuses

Photo : B. Zon

8.8.09

APRÈS-MIDI DES FAUNES DIDIER, NATHAN ET BRIAN CHEZ FRANCOISE




Didier Petit a participé aux improvisations estivales en France de ses amis des Fantastic Merlins Nathan Hanson et Brian Roessler en les invitant, après leur passage parisien en duo au Souffle Continu puis en quartet à l'Atelier Tampon, dans sa région où les trois hommes ont vécu une autre invitation. Correspondance depuis la zone libre.

"Mon cher Jean, je t'écris de ma Bourgogne où je me pose pour un temps.

La musique est le lien et se retrouve toujours dans des endroits où on ne l’imagine pas être et pourtant, ce mercredi 29 Juillet nous arrivons en voiture Nathan, Brian et moi, chez une jeune dame de 75 ans dans un village nommé Noyers sur Serein au nord de l'Yonne, département bourguignon. Il est 11 heures du matin et Françoise Oppenot nous accueille dans sa très belle maison en haut d'une petite vallée. Sa propriété longe le Serein, une rivière comme on imagine être une rivière. Un petit coin de campagne où l'on s'installerait facilement durant quelques temps.

J'ai rencontré cette jeune dame qui fut pédo-psychiatre et passa de longs moments à s'occuper d'enfants avec Médecins sans frontière au Liban, en Chine et dans pleins d'autres endroits dont j'ai hélas oublié le nom. Bref ! Je l'ai rencontré trois semaines plus tôt lors d'une exposition dans un prieuré. Je lui parlais alors de mes amis américains qui allaient arriver bientôt et de mon désir de faire de la musique avec eux dans un endroit que je n'avais pas encore découvert. Elle me proposa alors immédiatement sa maison où se trouve un beau salon que l'on peut considérer comme un salon de musique...

Trois semaines après, donc, nous y voilà. C'est le jour de la représentation. Il est maintenant midi, nous avons sorti le jambon persillé, les cornichons, le pain, les tomates. Nous sommes à l'ombre d'un marronnier de 120 ans. Brian, Nathan et moi-même écoutons médusés cette jeune dame nous parler de ses voyages à Minneapolis pour aller voir son fils et de ce concert merveilleux de Philip Glass au Walker Art Center. Elle allait souvent dans ce musée qui lui plaisait. Elle nous parla également de ces soirées entières qu'elle passait au "Chat qui pêche" dans les année 60 à écouter ses amis Art Blakey, Jean-François Jenny-Clarke, Art Taylor, Donald Byrd, Sonny Rollins, Errol Garner et j'en oublie ; de nous expliquer qu'elle n'a jamais aimé le faux bebop, que n'étaient pas si nombreux, ceux à venir à ces concerts, peut-être une vingtaine, que ses amis n'écoutaient pas cela et le peu d’attention porté à ceux qui allaient jouer.

Arrive 18h30. C'est l'heure, une cinquantaine de personnes de tous âges dont une petite dizaine d'enfants sont là pour cette traversée de l'Atlantique. Notre duo des Fantastics Merlins ouvre le bal et joue une vingtaine de minutes puis vient celui du Fantastic Gremlins que je suis pour un petit bout de traversée. Nous avons fait alors chacun une partie du pont et nous nous rejoignons pour un moment d'échange vif et serein. C'est fini.... Après les applaudissements, les gens restent assis. Il n'est pas certain qu'ils souhaitent se lever… pour prolonger ce moment. Ils se regardent, goûtent cet instant. On ne dira jamais assez à quel point est insupportable l’usage de mettre immédiatement de la musique enregistrée une fois le dernier applaudissement éteint. Ce moment de suspension après la fin d'un concert, dans le silence est toujours un instant particulier et indispensable. Nous nous retrouvons juste après autour d'un pot dans le jardin avec quelques tartines. Et c'est fou ce que les gens se sentent bien après une expérience simple et chaleureuse où il n'y a pas de faux semblant. La musique ne va pas sans écrin. Elle est un liant et ne se préoccupe pas des frontières de tous ordres lorsqu’elle est juste là où elle doit être.

Françoise Oppenot est heureuse et fière avec un petit air malicieux. C'est une grande dame de 75 ans, ouverte sur le monde, qui comme nous est dans l'acte et qui a su nous ouvrir sa maison avec confiance pour cette expérience alors qu'elle ne me connaissait pas. Juste au feeling !!

Amitié,

Didier."



Photographies : Collection In Situ



Fantastic friday music series
Petit en Amérique (Objectif Lune)

Nathan Hanson et Brian Roessler viennent de sortir le disque NH BR : Bellfounding, premier volume d'une série de duos (Community Pool - lane 001/50)

Didier Petit sort très prochainement chez Buda la suite de son solo Déviation intitulé : Don't Explain (3 faces)

6.8.09

L'HEURE DE DILLINGER




















L'histoire est-elle la traduction de la vérité continuelle ? La vérité se restitue-t-elle ? Se rend-elle ? Peut-elle se transmettre ? Et comment ? Le cinéma et l'industrie audio-visuelle ont pris en charge depuis plus d'un siècle une certaine transmission de l'histoire parfois en temps presque réel (le film suit souvent l'événement pour le redonner au public en version digérée, lui offrant un semblant de culture apaisante). Le cinéma s'est imposé principalement comme outil de propagande. Parfois, la foi de ses "entrepreneurs" est si forte qu'elle permet à ce drôle de média d'emporter le morceau ou plutôt de le déposer. Le cinéma est directeur, il autorise peu l'arrêt sur image (sauf lorsqu'il l'impose, lorsqu'il souligne lui-même ou lorsqu'il se rit de son endroit, ce qui change peu à l'affaire). Il joue parfaitement son rôle dans le monde moderne et pourtant il tourne avec, fascine (c'est sa qualité première) et à l'occasion ouvre la fameuse brèche et révèle. Là, il réussit la passe difficile. Un moment de vérité finit toujours par croiser le regard de la caméra (souvent à l'improviste). Le réalisateur et ses acolytes (le cinéma est affaire de ruche, très peu de solos) peuvent au moins s'en accommoder, au mieux le favoriser, et alors nous rejoindre.

Le film Public Enemies de Michael Mann n'est pas exactement consacré au "phénomène" des Public Enemies comme son titre pourrait le laisser croire, mais plus spécifiquement à l'une de ses célèbrités : John Dillinger. Les Public Enemies sont une invention de John Edgar Hoover, directeur du FBI de 1924 à 1972 (année de sa mort), monstrueux manipulateur redouté - ni Kennedy, ni Johnson, ni Nixon ne pourront s'en séparer. L'appellation (créée par un journaliste du Chicago Tribune en 1930 pour désigner les gangsters-vedettes de la Prohibition : Al Capone, Ralph Capone, Frank Nitti, Franklin Rio, Jack "Machine Gun" McGurn, Jake "Greasy Thumb" Guzik, George "Bugs" Moran, Joe Aiello, Edward "Spike" O'Donnell, "Polack" Joe Saltis, Myles O'Donnell) permettait de focaliser l'attention du public (jugée trop compréhensive) sur quelques cas issus d'une gigantesque vague de banditisme surgissant à l'occasion de la grande crise de 1929 en assurant le propre triomphe d'Hoover (et donc l'assise totale de son pouvoir). Les Public Enemies désignés du début des années 30 furent John Dillinger, Alvin Karpis, Baby Face Nelson, Charles "Pretty Boy" Floyd, Kate "Ma" Barker, John "Red" Hamilton, Homer Van Meter, "Machine Gun" Kelly, Bonnie Parker, Clyde Barrow. John Edgar Hoover a été un grand (et sinistre) metteur en scène.

Le film de Mann reste avec force conviction très concentré sur le personnage de Dillinger (interprété avec justice par Johnny Depp) et une intéressante puissance quotidienne, mais fait par trop l'impasse sur le contexte social et historique (pourtant maintes fois rappelé dans l'actualité récente comme pendant de notre "crise actuelle" - les commentateurs ont fait mine de se préoccuper des ressemblances et différences entre 1929 et 2009 pour mieux étouffer), la corruption de la police (une très courte scène l'indique), les situations géographico-politiques (l'importance de la ville de St Paul par exemple), les relations complexes entre Dillinger et Baby Face Nelson (personnage ici secondaire et schématisé). Il offre peu d'espace à Billie Fréchette, apât féminin cinématographiquement mal traité. Le film parle assez fort, mais il relie mal et s'il présente quelques rencontres fortes avec l'histoire, il s'arrange aussi dangereusement de la chronologie pour favoriser, par exemple, l'action du personnage de l'agent Melvin Purvis Jr et procéder à la réduction du face à face (conforme à une certaine vision hooverienne). Dans Public Enemies, Purvis apparaît au début du film tirant à mort sur Pretty Boy Floyd en fuite, ce qui lui permet d'être remarqué par Hoover qui en fait son champion pour atteindre Dillinger. Hors c'est le 22 octobre 1934 que Pretty Boy Floyd fut tué (Purvis participa, mais ne fut pas celui qui l'abattit) et John Dillinger mourut trois mois auparavant le 22 juillet. C'est en 1932 qu'Hoover nomma Purvis (en bon metteur en scène non partageur de succès, il le destituera ensuite).

La première partie de la scène finale (avant l'inutile postlude hollywoodien) restitue le fameux épisode où Dillinger au cinéma regarde Manhattan Melodrama de W. S. Van Dyke (en français : L'ennemi public numéro 1), film d'époque dans l'époque, juste avant de tomber dans le piège fatal de la police favorisée par les "nouveaux gangsters". Les chassés-croisés, voix et regards, de Dillinger/Depp et Clark Gable/Blackie offrent un moment où la brèche s'ouvre. Nous sommes à notre place au cinéma dans le cinéma pour le cinéma alors soudain généreux. Le film nous propose du champ. C'est lui qui nous parle, mais c'est à nous de comprendre. Ne restons jamais à la sortie du cinéma, mais rendons-nous à tous ses départs sans jamais déposer armes.