Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

29.9.08

MACHEROT S'ENVOLE



Mauvais coup du Kulgude, du Khrompire, de Crunchblott, d'Anthracite, des Croquillards, du Grand Troubadoule ou de Pistolard, Raymond Macherot vient de disparaître le 26 septembre et il se pourrait bien qu'avec ce tour-là, on ne le revoit plus jamais. En 1940, ce futur franc-tireur de la BD né en 1924 fuit l'occupant allemand faisant trembler le plat pays afin d'échapper au STO. Là, planqué dans la campagne, cet écologiste avant l'heure et la mode des pistolets à Grenelles découvre la nature qui guide ses crayons. Ce ne sera pas sans incidence sur le monde animalier (le lérot Chlorophylle, la souris Sibylline et son fiancé Minimum, les chats Mirliton,
Pantoufle et Chaminou) qu'il créera une fois devenu dessinateur (après avoir été apprenti matelot - il rejoint la marine britannique pour la libération - et journaliste) ; pas sans incidence non plus sur les thèmes d'albums comme Chlorophylle contre les rats noirs. Les petits animaux de Macherot n'évoluent pas (du tout) dans un univers disneyen, mais plutôt dans une sorte d'herbier subtilement orwellien aux mailles doucement décalées au-delà de Calvo et Benjamin Rabier, une sorte de poésie empreinte d'agressivité du quotidien. Il mélange à notre insu les époques (costumes, véhicules) pour esquisser, avec une cohérence troublante, un temps tellement proche à quelque époque qu'en soit la lecture. Ses deux chefs d'oeuvres Les Croquillards et Zizanion le terrible (dont la publication en album des bandes passées dans le journal de Tintin attendra 20 ans, l'éditeur considérant Macherot comme anarchiste) dépeignent une société trop policée, trop ordonnée (où la police est d'ailleurs d'une bêtise confondante - thème retrouvé dans Chaminou) incapable de saisir les menaces pourtant pressantes et lourdes de conséquences. En 1970, Macherot sera en proie à cette maladie fréquente chez les dessinateurs de bande dessinées (Hergé, Franquin - avec qui il participe ainsi qu'Yvan Delporte aux premiers albums d'Isabelle de Will, autre poète de la bande dessinée), la dépression nerveuse, le plat Mirliton en sera la manifestation la plus directe. Macherot aurait souhaité entendre la musique de certaines de ses planches (Le violon de Zagabor par exemple). En 1989, Michel Doneda et Alexandre Balanescu interpréteront pour Bandes Originales du Journal de Spirou, un Sibylline et la betterave (composé par Doneda) à la matière de terre et d'air très complémentaire de cette drôle de campagne. Anecdote : Héron Mélomane, totem scout du Colonel Clifton, autre personnage, humain celui-là, de Macherot sera pseudonyme repris par un invité récurent des disques nato à partir du Hotel Hotel de Jac Berrocal. En 1990, le dessinateur laissera tomber ses crayons. Les dernières histoires de Sibylline, au trait encré dans les petites cruautés, rencontrent une forte incompréhension. Pourtant, la toute dernière Sibylline et le violon de Zagabor est une perle fantastique qui part avec le vent, un chef d'oeuvre masqué. L'incompréhension est la tare des vies. Elle pousse à l'abandon. Les criminels ne comprennent jamais. Pas vrai Minimum ?


Tel est pris... quand le bleu broie du noir

4 commentaires:

Anonyme a dit…

L'école BD belge a ses héros, ses maîtres institués mais effectivement aussi ses grands oubliés. Il y en a beaucoup d'autres. Ne virons pas dans la nostalgie, les auteurs d'aujourd'hui ont plutôt bien pris la relève.

Anonyme a dit…

Le chef d'oeuve de Macherot, c'est CHAMINOU

Anonyme a dit…

Chaminou est effectivement une grande réussite de la BD. Loin l'idée de le diminuer. Effectivement, cette étonnante BD très moderne n'est pas assez mentionnée dans ce billet. Merci de le souligner. On ne ne peut sans doute pas raconter tout Macherot en si peu de mots. Chaminou fait aussi partie de notre sélection dans les Bandes originales du Journal de Spirou (preuve qu'on l'aime).

Anonyme a dit…

... et pour l'anecdote, nous avions appelé Macherot pour Le Chronatoscaphe, mais celui-ci ne dessinait déjà plus.