Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

31.1.08

KUCINICH
ET LES VERSANTS DE L'IMPOSSIBLE


Jusqu'où peut aller un homme politique dans son isolement (lorsqu'il devient forcement isolé parce qu'en rupture avec les usages, bassesses, jeux de pouvoir et d'argent, et politesses écrasantes voulus par la profession) ? C'est un peu la question que l'on peut se poser après l'abandon (forcé) du candidat Dennis Kucinich à l'investiture pour l'élection présidentielle de la première puissance mondiale (toujours supposée). Ancien maire de Cleveland qui s'était illustré par son refus de vendre la compagnie des eaux (publique) à une société privée, Kucinich, actuellement sénateur de l'Ohio marié avec une femme plus jeune de 30 ans et copain de Shirley McLaine, n'est pas exactement un révolutionnaire certes (au vieux sens du terme, pas au sens actuel - initié dans les années 30/40 ?- qui voit des révolutions Sarkozy, des révolutions Thatcher, des révolutions Reagan, des révolutions Poutine...), mais disons un de ces très rares politiciens qui ne se gêne pas pour parler de lutte des classes et ose deux ou trois choses soit la procédure de mise en accusation (Résolution 333) du vice président Dick Cheney, le vote conscient contre la guerre en Irak et l'action qui va avec (nombre de ses collègues, autruches aux dents longues, du parti démocrate - comme Hillary Clinton - font les ignorants effarouchés devant ce multi-désastre), le refus du Patriot Act, la demande d'un ministère de la paix, le projet d'un système de santé gratuite, l'opposition résolue à la peine de mort, la liberté de choix (adoption, mariage) pour les homosexuels, la mise en cause de l'élevage industriel et celle de l'industrie militaire (projet de loi en 2006 appelant à la destruction des arsenaux nucléaires). C'est cette dernière qui a valu au sénateur végétalien ayant un jour aperçu un Ovni sa mise à l'écart des médias comme NBC (contrôlés par l'industrie de l'armement). Après son retrait de la course à l'impossible, il a été clair en n'apportant son soutien à aucun des candidats démocrates encore en lice. Une autre illustration du vieil adage : "Si les élections pouvaient changer quelque chose, elles seraient interdites depuis longtemps ?".



Dennis et Elizabeth Kucinich au Liban

30.1.08

ATMOSPHERE


Dans le bien nommé Coltrane , le saxophoniste ne cache pas son jeu, il le partage d'une façon inimaginable en un tel espace. Pas simplement par la qualité de la musique, mais par son rapport au lieu et aux êtres (non présents) dans ce lieu : dépasser l'entendement au plus simple et au plus profond. Comment saisir cette vérité troublante, cette totale rencontre du réel et de l'intime à ce point exprimée, dans un studio d'enregistrement ? On a beau (croire) le savoir, on ne sait rien de ce disque entier. On écoute.

25.1.08

HALTE A L'ATTALI



Napoléon IV est l'animateur d'un grand castelet où en bonne intelligence des méthodes éprouvées du comte Jack Lang (ouste), animateur culturel de précédents régimes et grand pourvoyeur de l'école privée, il pratique l'art de la confiscation totale des spectateurs qui voudraient participer d'un peu trop près à son show obligatoire dont est banni tout questionnement.

A cette fin, l'empereur pratique une sorte de happening permanent, avec casting de haut luxe (look Vuitton). Mieux que son divorce d'avec Madame Martin, mieux que l'intervention de Dame Bruni, petite chanteuse d'opérette-disneyante propulsée pendant quelques scènes au rôle principal, mieux que son discours de bigôt dernier cri, c'est l'arrivée du cardinal Attali comme Deus Ex Machina qui en fait toute la démonstration.

L'empereur lui a confié une étude pour "libérer la croissance" laquelle devait être séquestrée dans la jungle par quelques attardés marxisants. Cette libération sans condition (et la caution ?) pourrait bien au mieux relancer les croissants retaillés en pavés. En assurant dès la commande au cardinal "Tout ce que vous proposerez, je le ferai", l'empereur s'est follement emballé comme il le fait souvent avec son personnel "de gauche". Mais peu importe, le spectacle doit continuer. Cette gauche-là a tout fait, et ce depuis si longtemps, pour être partie de l'humiliant spectacle.

Pour preuve, la seule personne du propre camp de l'expert socialiste qui trouve désormais grâce à ses yeux est l'ex-prétendante au trône, Madame Royal, partisane d'une immigration au cas par cas et adepte du capitalisme, qui en retour de compliment, a apporté sa caution aux propositions d'Attali en jugeant que ce rapport était là pour "aider la France" (on ne rit pas dans le fond !). Les accrocs du suffrage universel pour l'élection présidentielle doivent sentir leurs dernières hémorroïdes exploser. Nos antifascistes benets de 2002 (le facétieux Jacques Chirac avait prévenu en 1984 - oui en MILLE NEUF CENT QUATRE VINGT QUATRE - : " Il faut voter avec son intelligence, non avec ses tripes") finiront-ils par se rendre compte qu'avec leur vote de "gauche", ils ont largement favorisé l'empereur et apporté la meilleure des cautions démocratiques à son action sans vergogne ?

La cardinal Attali a la classe d'un intrigant personnage d'empire, un réformateur sans principes, un personnage totalement arrogant, méprisant. Rien n'est suffisant pour satisfaire son auguste personne. Sa faim est sans fin et tous peuvent périr dans l'arène pour y satisfaire. Pour exécuter son rapport, il a pris la tête d'une armée de 42 acteurs et copistes de cette grande pièce, experts dont l'amour du peuple ne saurait être mis en doute, jugez plutôt entre autres du même acabit : Stéphane Boujnah, managing director de la Deutsche Bank, Peter Brabeck-Letmathe, président-directeur général de Nestlé SA, René Carron, président de Crédit agricole SA, Xavier Fontanet, président-directeur général d’Essilor International, Pehr G. Gyllenhammar, ancien président de Volvo, Yves de Kerdrel, journaliste au Figaro, Bruno Lasserre, conseiller d’Etat, président du Conseil de la concurrence, Erik Orsenna, écrivain, membre de l’Académie française, conseiller d’Etat, Dominique Senequier, présidente du directoire d’AXA Private Equity, Jean-Noël Tronc, directeur général et membre du comité exécutif d’Orange France, François Villeroy de Galhau, président-directeur général de CETELEM, Serge Weinberg, président du conseil d’administration et président du conseil stratégique d’Accor...

A la fin de la pièce, nous n'aurons que les yeux pour pleurer. Et les larmes seront-elles aussi confisquées, recyclées ? Quelle que soit l'application des peines préscrites, la machine Attali, qui fait si bien le jeu de l'empereur-brouilleur, n'accorde rien à l'amour, à l'intimité, l'amitié, la fraternité qu'elle piétine avec rage revancharde. Elle projette de nous passer sur le corps avec comme seule liberté accordée, l'esclavage définitif et insensible et par ce fait même, inguérissable.

Rapport Attali consultable sur : http://www.liberationdelacroissance.fr/files/home.php

Jacques Attali est aussi l'auteur d'un des pires livres sur la musique jamais écrit, Bruits (1977) affichant une colossale somme d'erreurs et d'ignorances

22.1.08

CANCER DE LA COLONNE


Le dernier poilu vivant (soldat de la guerre de 1914-1918), Lazare Ponticelli, refuse d'avoir des funérailles nationales par respect pour tous ceux qui sont morts sans considération. Cette décision d'un homme qui pense que la guerre est un fait "complètement idiot" empêchera peut-être l'un de ces twists embrouilleurs d'histoire dont Napoléon IV a le secret.

Un homme qui avait honte d'être au chômage est mort de froid à Grenoble dans sa voiture en feignant d'avoir trouvé un boulot de nuit. Pas de danse prévue par le petit empereur pour ce cas-là.

Au XIXème siècle, Gustave Courbet n'aime pas Napoléon III qui cherche pourtant à le courtiser. Au début du XXIème siècle, les tableaux de l'auteur des "Casseurs de pierres" sont exposés au Grand Palais, établissement parisien qui jouxte un important poste de police.

Vendredi 18 janvier 2008, il y a foule au Palais. Une femme se plaint à son mari de la laideur des corps tels que peints par Courbet. Cette élégante sculptée par un versaillais mélange raffiné de Danone vuitonné et de Loréal cartierisé, forte de sa beauté prétendue, hurle l'air offusqué à qui veut bien l'entendre, avec la réserve savamment étouffée qui fait la marque sonore de la bourgeoisie. Evocation immédiate du dessin d'Honoré Daumier publié en 1855 (qui figure dans l'indispensable ouvrage de Manuel Jover intitulé Courbet - éditions Terrail) de pédants enlaidis s'insurgeant contre la vulgarité de Courbet. Nous en sommes au même point, ça rassurerait presque... un bref instant seulement.

En mars 1871, lorsque Paris se proclame Commune indépendante, Courbet (ancien ami de Proudhon mort en 1865, théoricien du socialisme libertaire par trop puritain mais aux travaux utiles) est président de la Fédération des Artistes et s'occupe de l'instruction publique. Il aime ! "Paris est un vrai paradis ! Point de police, point de sottise, point d'exaction d'aucune façon, point de dispute. Paris va tout seul comme sur des roulettes.". C'est lui qui a l'idée de déboulonner la Colonne Vendôme. La Commune le prend de vitesse en ordonnant sa destruction : "La Commune de Paris considère que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire , une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l'un des trois grands principes de la République : la fraternité !". Le monument terminé par une statue d'un Napoléon 1er en César représente toute l'arrogance meutrière de l'empereur et de son neveu Napoléon III (premier président de la République auto-transformé en troisième empereur). Le peintre fut emprisonné puis plus tard condamné par Mac-Mahon (successeur monstreux d'Adolphe Thiers) à payer les frais occasionnés pour la reconstruction de la Colonne Vendôme (sa mort précéda le premier versement). En sortant de l'exposition Courbet - on ira revoir la toujours époustouflante "Origine du Monde" une énième fois au Musée d'Orsay car elle s'y trouve mieux que dans cette mise en scène de boudoir pour Versaillais attardés qui l'entoure au Grand Palais - en sortant de l'exposition Courbet donc, l'envie est forte de DÉBOULONNER QUELQUE CHOSE de symbolique voire plus.

Pas de funérailles nationales pour la chair à canon, pas de légion d'honneur pour les grands artistes de chair, pas de chauffage pour les chômeurs. MAIS UNE COLONNE CYNIQUE S'ÉLEVANT SANS FIN EDIFIÉE PAR DES DESPOTES AUX CERVEAUX NAINS ET FAITE DE LA BOUE DE NOS LARMES, À DÉBOULONNER D'URGENCE COMME SUR DES ROULETTES.

19.1.08

MEILLEUR VOEU


Paris - Butte Montmartre janvier 2008


Photo : B. Zon

1.1.08

UN PRINTEMPS POUR FRANK MORGAN




Bel oublié des listes destinées aux inaccessibles îles désertes parce que totalement accessible à ceux qui veulent vivre dans le même monde sans s'en échapper, Telefunken Blues de Kenny Clarke (inventeur de la batterie bop complètement mésestimé car n'ayant pas su ou voulu rester en Amérique du Nord) parut en 1955 sur étiquette Savoy. Qui a écouté ce disque n'a pu rester insensible au son d'alto de Frank Morgan qui apporte au disque cette sorte de poussière lumineuse qui, bien entendue, empêcherait forcément la liquidation du monde. Frank Morgan est né un 23 décembre 1933 à Minneapolis dans une famille de musiciens qui n'avaient pour se chauffer ni âne, ni boeuf (animaux alors servis en pot au feu dans la soupe au canard de l'infâme "démocratiquement élu"). Cet accroc de l'oiseau parkerien s'est mis à l'alto en quittant le pays des lacs pour celui des anges irradiés. Dans la cité californienne, il élabore un jeu hérité du Bird bien sûr, avec une maîtrise de la patience qui aurait dû porter très loin. Très vite poussé sur l'autel des sacrifiés intoxiqués, le gamin, qui à la suite d'un concours de saxophone avait grossi les rangs des troupes de Lionel Hampton, commence ses séjours dans la case prison. Il joue avec Miles Davis (c'est beau), Milt Jackson, et après un premier disque, sa carrière est cassée. Pour trente ans. Trente ans trop de veines-pas de veine et de prisons. Il revient après cet intermède de douleur avec son second disque signé intitulé Easy Living (titre qu'utilisera aussi Sonny Rollins dans des conditions bien différentes). Frank Morgan a pu ensuite enregistrer un beau paquet de disques rarement déposés au pied des sapins (car les sapins marchent sur des oeufs). Evadé avec ce son d'un coeur malmené, attaqué, il veut juste avoir le temps de "prendre son temps et de tout absorber". Il revient à Minneapolis pour un ultime chapitre et claque juste avant Noël 2007. Cette fois, le boeuf et l'âne font de la chair à saucisse pour les imbéciles à Disneyland. Frank Morgan l'a dit dans un superbe album de duos avec des pianistes gravé en 1992, il voulait "croire au printemps". Le printemps en 2008, ça va être notre affaire, ne laissons pas ses fossoyeurs opérer et cassons leurs lunettes de soleil pour faire entrer la vraie lumière, la même que jouait si bien Frank Morgan. Bonne année.